La vie des petits métiers du temps jadis

L’exposition À la recherche des métiers de nos aïeux nous a rappelé l’intérêt de notre histoire locale et nous a fait revivre ces Croisiens compétents qui travaillaient pour le village. Quelques figures authentiques restent ancrées dans les mémoires de ceux qui les ont connues et n’ont pas oublié notre dernier charron, notre dernier cordonnier, nos derniers horticulteurs…

Le charron : Joseph Dalmasso (1898-1975)

Pourquoi la Rue du charron à La Croix Valmer ? Tout simplement parce que c’est dans ce passage que travaillait notre charron, Joseph Dalmasso. Né à Demonte (Piémont), Giuseppe était arrivé à Marseille vers 1920 et avait épousé Yvonne originaire de La Croix où il s’était installé. Remarquable artisan, ses compétences professionnelles (son père, charron, l’avait formé) étaient connues dans tous les villages alentours. Le travail était très dur mais ne manquait pas car on venait de loin pour son savoir-faire et certains lui donnaient le titre de « Maître charron ». Petit, moustachu, jovial, spécialiste du bois et du métal, perpétuellement actif devant sa forge et son enclume, son atelier, qu’il avait créé, était ouvert à tous et il y a travaillé seul toute sa vie. Comme un menuisier, il excellait dans le choix des bois qu’il façonnait. Il avait aussi les connaissances d’un forgeron mais surtout, il était indispensable puisque de la brouette aux voitures attelées, il fabriquait les roues qui devaient résister aux chargements et à l’état des routes. Il savait tout faire : il réparait les outils (râteaux, jantes, moyeux…), il pouvait fabriquer un canot et avait même refait les vitres et porte en bois d’une automobile appelée canadienne*. Tout au long de l’année, il travaillait le fer et son marteau rebondissait sur l’enclume pour façonner des centaines de pièces. Le cerclage des roues était une prouesse et un spectacle où venaient assister de nombreux voisins toujours impressionnés par sa virtuosité. Ces jours-là, sa roue en bois terminée et posée à l’extérieur, il battait le fer, faisait ronfler la forge, activait le feu puis cerclait la roue sur laquelle sa femme et des voisins jetaient des seaux d’eau pour ne pas que le bois s’enflamme et à la fin tout le monde applaudissait.
Sa bonne humeur et sa gentillesse attiraient la sympathie, il aimait les fêtes de famille, il aimait chanter, raconter des histoires, ses nièces (Yvonne et Henriette) et tous les enfants du coin l’adoraient. Le samedi soir, après une semaine de dur labeur, il enfilait son costume à rayures pour aller boire un verre et se détendre avec sa femme et leurs amis à La Rotonde, où se retrouvaient les Croisiens.
Atmosphère et images d’un temps révolu, souvenirs d’un passé où il y avait encore un charron à La Croix.

Le cordonnier : Dikran Yevadian (1912-2002)

En 1916, pour échapper au génocide arménien, à Karpout, Dikran, à peine âgé de 4 ans, fut encadré et exfiltré d’Arménie par des organismes anglais d’aide humanitaire qui voulaient les sauver des massacres turcs. D’orphelinats en orphelinats, leur exode dura 10 ans de la Syrie à l’Égypte (Alexandrie) et enfin Marseille où le reste de la fratrie** débarqua vers 1927 avant de s’installer à Draguignan. À 15 ans, Dikran voulait être coiffeur mais ses trois frères cordonniers lui apprirent leur métier. Cordonnier mais aussi marchand de chaussures forain en Dracénie, dans les années 30, il vint travailler à Saint-Tropez chez Rondini où il fabriquait les fameuses sandales tropéziennes. Excellent cordonnier, vers 1938, il finit par s’installer à La Croix Valmer dans la petite échoppe située au rez-de-chaussée de la maison Piombo, face à la mairie. Il savait travailler tous les cuirs et était très bien outillé : machine à coudre, tranchets… les chaussures commandées étaient faites main de A à Z et surtout il réparait et prolongeait la vie des souliers qui devaient durer longtemps. Fort de son expérience et de ses qualités professionnelles, il créait aussi des « spartiates croisiennes » à la demande (l’appellation « tropéziennes » propriété de son créateur, lui étant interdite !). En 1939, après la démobilisation il revint à sa boutique où il exerça son métier jusqu’aux travaux de démolition pour l’édification d’Odyssée 80.
Compétent, convivial, bavard, tout le village connaissait et appréciait son cordonnier M. Yévadian, plus souvent appelé M. Durand ! Avec Melle A. Thoorens épousée en 1946, il avait eu 4 enfants et les gens s’arrêtaient devant sa boutique non seulement pour son travail mais aussi pour partager un moment, parler de la famille, des enfants… Son transfert, vers 1982 à l’emplacement de l’actuel office de tourisme, ne perdura que peu de temps et M. Yévadian fut le dernier cordonnier de notre commune.

Horticulture : les établissements Jovard et Frachon-Rerolle

Deux exploitations bien connues ont existé jusqu’à la deuxième guerre mondiale. La première était celle du Domaine du Vallon, ou établissements d’horticulture Jovard et Fils***, située sous les Missions Africaines. Elle fut également exploitée par par la famille Desbonet. On y cultivait essentiellement des mimosas, des violettes, des narcisses… et ces fleurs étaient toutes destinées à l’exportation vers Marseille, Lyon…
Le deuxième établissement, situé Aux Roches Vertes, appartenait aux familles Franchon-Rerolle. Vers 1910, l’exploitation agricole et florale était gérée par M. Blanc puis, Victorin Maurric et ses fils lui succédèrent pour s’occuper des cultures et de la vente des fleurs naturelles telles que les frésias, les anthémis, les arums, les violettes… qu’ils expédiaient vers Marseille, Lyon, Paris, et même Londres (Entreprise Moron…).
Ces exploitations disparurent totalement de La Croix Valmer entre1939 et 1945.

Brigitte Rinaudo-Pineau

Sources :
Yvonne Triay et Henriette – Jean-Dick Yévadian – Louis Maurric
*Simca 8 Canadienne 1949
** Ils ne revirent jamais leurs parents. Devenus apatrides, ils prirent les nationalités libanaises, françaises… selon les circonstances et les étapes de l’exode.
***Bd des Villas une enseigne quasi effacée des établissements Jovard subsiste encore